Texte issu de la revue de l’artiste Guy Ferdinande Comme un terrier dans l’Igloo dans la Dune n°99
Oldies, comme ils disent
L’évocation de la musique pop sixties française fait le plus souvent frémir les fans de rock. De la mémoire collective émerge un microcosme dominé par les yéyés et les vocalistes de variétés aux performances peu convaincantes. Il faut reconnaître que le rock et la pop en France ne se sont pas développés comme dans les pays modèles, l’Angleterre et les Etats Unis. Chez nous les groupes sixties n’ont quasiment pas existé : après une vague de combos twisters entre 1961 et 1964, la préférence fut accordée par la profession aux projets solo, sans doute plus faciles à contrôler que des groupes de rock juvéniles et sauvages relégués au circuit des salles de bal et à l’autoproduction.
Loin du bruit et de la fureur furent enregistrés des milliers de disques sur lesquels des orchestres accompagnent les ambassadeurs des musiques rythmées alors dans le vent. Un magma de twist, jerk, slow, shake, rock, soul, rythm’n’blues, madison à la française dont on connaît très bien le pire mais difficilement le meilleur, car la bonne pop française demeure un secret bien gardé par ses connaisseurs. Les Oldies comme on dit dans le monde des collectionneurs de disques représentent un corpus presque infini d’adaptations plus ou moins heureuses du répertoire anglo-saxon mais aussi d’originaux à la manière de parfois dissimulés sur des faces B d’artistes aux carrières contestées ou méconnues, sous des pochettes à faire fuir.
C’est en 45 tours que se glanent les trésors de notre musique pop soixante, support idéal destiné à la jeunesse, moins cher que l’album 33 tours (il s’agit majoritairement de 45 tours EP 4 titres dont la promotion était assurée par des singles 2 titres destinés aux juke-boxes). Les pépites proviennent aussi bien des répertoires d’artistes confirmés (Dalida, Sylvie Vartan, Richard Anthony, Johnny Hallyday… ) que de seconds couteaux (Audrey Arno, les Gam’s, Larry Greco, les Missiles…) ou d’improbables retombés dans l’anonymat (Ralph Koric, les Valentin, Yana Ricci, Gil Vidal, Jacky Gordon…). Les artistes sont accompagnés d’orchestres (Jean Bouchety, Clyde Borly, Paul Piot, Claude Bolling, Christian Chevalier, Roland Vincent… ) aux sonorités souvent merveilleuses alliant orgues électriques, violonnades, basses vrombissantes, sections de cuivres, batteurs énervés, choristes en feu, carillons, castagnettes, guitares saturées à l’anglaise et pourquoi pas marimbas, derboukas, timbales, flûtes, tambourins, ocarina… les sessionmen jouent remarquablement bien (il s’agit le plus souvent de musiciens de jazz), les prises de son restent étonnantes et pleines de relief, servant des voix bien réverbérées.
Les compositions sont rarement l’œuvre des artistes, mais plutôt des adaptations de succès anglo-saxons ou les œuvres d’auteurs compositeurs professionnels des variétés. Les paroles sont signées Pierre Saka, Billy Nencioli, Ralph Bernet, André Salvet, Vline Buggy, Georges Aber, Serge Gainsbourg ou par des inconnus suivant une ligne tendue entre valeurs Vieille France et imagerie pop. On y évoque avec un vocabulaire choisi des aventures aigres-douces et des chagrins d’amour, les bonheurs d’une jeunesse encore ignorante des drogues mais curieuse d’expérimentations, les rêves d’exotisme d’un temps où l’on voyageait surtout dans sa tête en Amérique, en Angleterre ou au Moyen Orient. Il se distille une certaine candeur des meilleurs textes de cette période, un parfum de nostalgie gourmande, un espoir impérieux en la modernité, une confiance en la liberté.
Les musiques, quand il ne s’agit pas d’adaptations, sont composées par des gens comme Guy Magenta, Janko Nilovic, Long Chris mais aussi par quelques expatriés comme l’américain Mickey Baker ou les anglais Micky Jones et Tommy Brown.
Le long des sixties et en langue française, un certain romantisme populaire s’est glissé dans les sillons de chansons d’amour fragile, de slows salivaires, d’odes à la plage ou aux vacances, bizarreries novelty ou vignettes orientales, guidant les voix plus ou moins assurées de midinettes vouées à l’anonymat (Eileen, Peggy, Chantal Kelly… ), de jeunes rebelles (Thierry Vincent, José Salcy, Monty parfois), de crooners oubliés (Olivier Despax, Aldo Killy), d’étrangères au bel accent (Nancy Holloway, Virginia Vee, Mina ou même Dusty Springfield en V.F), de chanteurs exotiques (Tichky, Bob Azzam, Orlando, Bob Asklof… ). Il y a aussi les inclassables proto psychédéliques comme Papy, Guy Skornik, Gilles du Janeyrand, Claude Channes, Jean-Claude Oliver…
Si certains pans de la culture Oldies sont maintenant disponibles grâce à quelques compilations (Swinging Mademoiselle, French Cuts, les CD’s Magic, les inépuisables rééditions des idoles Johnny, Sylvie et consorts), la tradition s’entretient dans l’ombre : on trouve certains titres sur des compilations pirates sorties dans les années 80 (dont les pochettes n’instruisent en rien l’auditeur sur l’interprète ou les crédits), beaucoup de choses en désordre sur youtube ou des blogs de passionnés, pourtant l’iceberg plonge si profondément dans les préjugés et la rareté qu’il faut s’aider de guides. Ces derniers sont rares, avares d’information et souvent âgés. Dans le Nord de la France qui reste mon terrain de chasse à disques usuel, ces amateurs et connaisseurs d’Oldies sont issus des classes populaires, d’origine française ou arabe pour beaucoup. Ce sont des gens modestes que la musique de danse a retournés à leur jeunesse. Ils ont vécu les virées en Belgique, les concerts d’Eddy Mitchell ou de Vigon, les bagarres pour une fille, connu les scopitones… ils savent citer les bonnes chansons (même celles de Rika Zaraï, Annie Cordy ou Nana Mouskouri !), collectionnent les disques et parfois vendent cher certaines galettes.
Ces trésors sont mêlés à nos pires cauchemars variété, ils nous rappellent si l’on l’ignorait encore combien l’esprit pop-rock-soul en France était l’œuvre de professionnels et non de groupes de copains passionnés. Loin des clichés rock ? Pas toujours, même Guy Magenta est mort en 1967 au volant de sa Jaguar neuve…
Barnabé Mons, juillet 2014
Petite liste subjective de pépites françaises méconnues :
Eileen : Le parfum des bois
Nancy Holloway : J’ai dû perdre mon chemin, Dix bonnes raisons, Je n’aime que lui
Olivier Despax : Si loin d’Angleterre, Essaie de me comprendre
Jacky Moulière : Alice du pays bleu, Va t’en
Eric Charden : Pas question, Je ne ressemble à personne, C’est si haut
Dany Moryann : Laisse faire le temps
Ralph Koric : Je roule pour moi
Papy : Le shazam
Gérard Gray : Le poisson vert
Audrey Arno : Quand Jean-Paul rentrera
Guy Skornik : Hippy aime le monde, Fire
Virginia Vee : Je ne veux plus te voir ici
Les Chéries : Qui est le fox ?
Monty : Un verre de Whisky, Même si je suis fou
Les Valentin : Tous les enfants
Henri Salvador : Beta Gamma l’ordinateur, Sûrs de nous
Gil Vidal : Ni pourquoi ni comment
Annie Cordy : As-tu vu la souris ?
Claude François : Un homme libre
Eddy Mitchell : J’ai oublié de l’oublier, Société Anonyme…
Orlando : Je tremble
Jacques Guerini : Je n’aurais pas du faire ça
Sacha Distel : Que c’est bon, La chanson orientale
Cecilia Stam : Présente-moi ton frère, Traverse la rue
Nana Mouskouri : L’eau qui dort, Les yeux pour pleurer, Laissez-moi pleurer
Johnny Hallyday : N’y crois pas, Toujours plus loin, À tout casser
Sylvie Vartan : J’ai fait un vœu
Yana Ricci : L’amour
Chris Kersen : Les filles à Papa
Richard Anthony : Sur les toits, En attendant