Une nouvelle sous forme de cavale amoureuse, inspirée d'une fée réelle. Editions Elise Castel, 2009

Extrait

Elle est arrivée un soir à la gare avec deux énormes sacs, plus belle encore que d’habitude. Sous les lumières des réverbères, ses cheveux blonds prenaient la couleur bleu pétrole de la rue, de la nuit. Sa beauté délicate scintillait dans le décor urbain. Je n’étais pas sorti de la voiture pour l’aider à porter ses sacs : je voulais la regarder courir vers moi, comme un cabri malhabile et surexcité. Les jours suivants furent étranges. J’avais décidé de ne rien faire de spécial en son honneur. Je voulais que chacun fasse ce qu’il avait à faire. Le problème, c’est qu’elle n’avait rien à faire du tout, et ne pensait qu’à boire. Elle se levait en tremblotant de tous ses membres avec une grande soif. Si nous allions faire des courses au marché, elle buvait des bières sur le coup de onze heures. Si nous allions en Belgique passer une journée, elle buvait des bières. Si on ne faisait rien, elle partait au coin de la rue « acheter des cigarettes » et revenait deux heures plus tard avec un sérieux coup dans le nez. Autant dire que ses bières commençaient à me saouler moi aussi.
Un jour je rentre à treize heures d’un jogging de dix kilomètres, mon régime trihebdomadaire de santé. Elle est affalée, bourrée sur mon lit, avec un disque sordide à fond.
« Putain, qu’est-ce que tu fous ? Qu’est-ce que t’écoutes ?
– ... c’est Joy Division…
– Je te préviens : je veux pas de ça ici. T’es venue pour essayer d’aller mieux et tu fous tout en l’air dès midi. Et au fait : je peux pas blairer Joy Division, c’est trop chiant et déprimant, pitié. Ici t’écoutes aut’chose please. »
Le soir on est allé une dernière fois chez David et Mathilde. La soirée a mal fini, Amandine a fait une crise d’angoisse. Elle s’est enfermée dans la salle de bains et s’est assise dans le couloir mal éclairé en sanglotant. Je suis allé la chercher calmement, on est repartis. Dans la rue elle a continué de menacer d’exploser. « OK, tu vas faire quoi là ? Hurler ? T’arracher les cheveux ? Me battre ? Casser des voitures ? Dis-moi parce que je suis curieux de savoir ce qui m’attend. » Ça l’a calmée, mais je crois qu’on est passé à côté d’un drame.