Talent, aiguilles : le cas de l’art textile
Broderie, canevas, tricot, macramé… ces techniques laborieuses évoquent la tranquillité déterminée du mouvement créateur et les fins utiles : vêtement, décoration, confort. Ici, en occident, depuis plusieurs décennies nous n’avons plus besoin de broder, de coudre ou de tricoter : d’autres parties du globe se chargent héroïquement de réaliser nos étoffes. Pourtant ces activités perdurent pour le plaisir, se diversifiant, trouvant de nouvelles raisons d’être. Débarrassé de son utilité immédiate le travail du textile s’épanouit plus que jamais dans les mondes de l’Art. Aujourd’hui le fil textile prolonge la peinture, la sculpture, l’infographie. Il devient un moyen d’expression de plus en plus utilisé, on assiste à une éclosion spontanée d’artistes s’emparant de cet ancien média extrêmement populaire.
Les réalisations textiles nous sont familières, nous en connaissons les codes sans les avoir analysés. Aussi est-il surprenant de voir serviettes de table, rideaux ou napperons servir de support à l’expression d’univers singuliers. L’ingénuité présumée de l’ouvrage textile connaît des détournements provoquant des décalages dérangeants entre les supports et les sujets. Pourtant les arts populaires textiles ne relèvent pas toujours de la mièvrerie et de la naïveté, ils regorgent aussi d’exemples de terreurs et phantasmes fixés dans le fil textile : tapis afghans représentant la guerre, ex-voto mexicains, patches de militaires ou canevas érotiques…
La question des sexes est au cœur du travail textile : on attribue trop souvent l’exclusivité du travail du fil et des aiguilles aux femmes. Le geste obsessionnel de Pénélope est gravé dans les esprits, l’attente, la patience et la soumission aux techniques rigoureuses rappellent la trop souvent dure condition féminine quand pourtant bien des hommes passent aussi des heures à l’ouvrage, les exemples ethnographiques ne manquent pas pour attester du travail textile masculin. Du fait de cette représentation sexuée pourtant fausse, l’art textile est un espace de rencontre des genres, propice à l’évocation de la libido et à l’affirmation de l’identité sexuelle.
Nous avons voulu dérouler le fil de techniques surannées célébrant le travail bien fait jusqu’aux plus belles curiosités que puisse offrir le travail du textile, sans souci des étiquettes puisqu’à notre sens l’art qu’il soit désigné outsider, populaire, contemporain, brut, pop ou modeste est propice à la confrontation et au dialogue des œuvres.
Barnabé Mons, novembre 2009