Collection Particulière

Un, deux, trois, quatre… c’est avec patience et passion que s’érigent les collections, univers accumulatifs d’objets du désir que le collectionneur assemble au prix de son temps et parfois de ses économies. On rencontre toute sorte de collections : coquillages, timbres, œuvres d’art, moulins à café, insectes, paquets de cigarettes, boîtes à sardines, instruments de musiques, curiosités, bêtes empaillées, vieux jouets, lampes à système, ivoires, jeux vidéo, blagues Carambar, bijoux, affiches, tickets de métro, bibelots, plantes, revues cochonnes, armes à feu… la collection nait d’une disposition de l’esprit toute humaine visant la domination visuelle d’un monde proche de la complétude.

Les collections sont des mondes présentant des objets à la fois similaires et différents : ainsi seul le connaisseur sait apprécier toutes les variantes d’un ensemble à priori homogène. Les collectionneurs recherchent des différences parfois infimes comme la couleur verte d’une étiquette conférant une rareté supérieure à la rose, et proposent ainsi une hiérarchie du plaisir de contempler et posséder.

La collection impose rangement, tri, mise en scène, discipline et respect de la valeur qu’on lui attribue. L’écrin d’une collection est bien souvent soigné tel un herbier, une vitrine, un cabinet de curiosités ou une bibliothèque, protégé tel le coffre d’un trésor des regards indésirables et des convoitises. Car le collectionneur croit aux convoitises du monde extérieur : elles légitiment sa passion. Il faut bien que la collection propose une  valeur chiffrable en dollars ou en décennies de recherches pour qu’elle soit valide.

Bien évidemment, tous les collectionneurs n’ont pas l’idée ou les moyens de consacrer leur énergie à des collections « nobles », leur démarche risque à tout moment de sombrer en une croisade absurde trop éloignée de l’utilité ou de l’esthétique. Certains collectionnent ainsi les cailloux. D’autres collectionnent absolument tout ce qui leur tombe sous la main.

Collectionneur moi-même et fils de collectionneurs invétérés de bizarreries en tout genre je me suis pris de passion malgré moi pour la collectionnite. A mes yeux, l’accumulation d’objets similaires jusqu’à l’écœurement confère un style baroque et généreux souvent spectaculaire et ravissant. Mes activités de commissaire d’exposition m’ont vite amené à constituer et à présenter mes propres collections : photos de catcheurs, pochettes de disques faites main, jeux de cartes érotiques du monde entier, vaisselle déviante… puis je me suis mis à  la recherche de collections particulières pour étoffer les projets auxquels j’étais lié. Tel un chasseur d’ours j’ai découvert un collectionneur de petites culottes, un fou de canevas, un piqué des guitares à paillettes, un dingue de  tourne-disques Teppaz, un zozo de Claude François, un accumulateur de pipes… ou cet autre phénomène nommé Raja, le grand fakir de l’Ile Maurice qui propose de visiter sa maison rebaptisée Musée de la Petite Collection sur rendez-vous, commentant ses monceaux de cartes postales, boîtes d’allumettes, vieux journaux, machines à écrire, disques, porte-clés, radios ou bouteilles vides. Un lieu similaire du Musée de l’Insolite de la Drôme, rempli de pièces sans valeur marchande, qu’on ne visite que pour écouter son concepteur et gardien, le peintre farceur Max Manent.

Derrière chaque collection se dessine la figure fière et gentiment dérangée du collectionneur à l’affut d’une pièce supplémentaire. L’un des grands maîtres collectionneurs que j’ai eu l’honneur de rencontrer est aussi un immense prêtre de l’Absurde : Artaud, sétois, collectionne ainsi les tapettes à mouches, les trous, les péritonites, les hippopotames du mardi, les miracles ou les cartels, les débris d’art qu’il vole dans les musées, ces temples des collections « légitimes ». Artaud a compris que la collection était avant tout un espace de plaisir, d’étonnement et de partage. Le succès des présentations de ses obsessions ne laisse aucun doute sur le pouvoir de communication des objets analogues multipliés en grand nombre.

Ainsi mon plaisir accumulatif s’est peu à peu déplacé des objets (trop nombreux, trop encombrants, trop chers) aux collectionneurs eux-mêmes (plus rigolos, plus rares, plus difficiles à attraper), m’engageant dans une course infinie à la recherche de fantaisies insoupçonnées.

Barnabé Mons, octobre 2012