Distorsions
Depuis son acte de naissance au milieu du démentiel vingtième siècle, le rock a façonné des légendes et des rêves chromés, semé des idoles, choqué les habitudes, sauvé des vies et perdu bien des âmes. Le rock n’est pas qu’une musique, c’est 50% de son et 50% d’image : la banane d’Elvis autant que sa voix d’ange ont émerveillé les fans et transformé leur existence. Ainsi le rock rayonne tel une religion païenne dont les multiples chapelles (rockabilly, gothique, mods, metal…) proposent plusieurs variantes d’un mode de vie hédoniste et libertaire. Le rassemblement des troupes a lieu lors de concerts ou de fêtes assourdissantes.
Imitées, les gloires et aussi parfois les losers du rock sont vite devenus l’objet d’une dévotion moderne. Bien des fans offrent une visibilité à leur admiration à travers leur apparence, vêtus et coiffés tels des doubles de leurs idoles. L’objet manufacturé (disque, badge, magazine, poster, figurine, t-shirt… ) offre une interface transitive avec l’univers des stars, mais certains fans plus exigeants façonnent eux-mêmes leurs gris-gris rock : pochettes de disques, carnets de coupures de presse, dessins, peintures, blousons personnalisés… La musique habituellement inexprimable en image devient dans le cas du rock le point de départ de formidables envolées plastiques. De nombreux artistes souvent fans eux aussi ou simplement surpris par le phénomène contribuent au prolongement du son par l’image et ainsi à l’amplification du rock, à l’élargissement de son pouvoir de fascination et à sa sacralisation. Aujourd’hui grâce à ses imageries en phase de reconnaissance, le rock, culture populaire, entre au musée. Ce n’est pas la fin du rock, ce n’est qu’un début.
Barnabé Mons, octobre 2013